Le scénario du Québec présenté aux équipes de la Première Nation des Innus Essipit et de Pekuakamiulnuatsh Takuhikan, lors de deux rencontres d’échanges préalables tenues les 26 avril et 16 mai derniers, avant le dépôt de la stratégie pour les caribous forestiers et montagnards, n’a rien de rassurant pour la survie du caribou. Ces rencontres faisaient suite à une rencontre politique tenue à Mashteuiatsh le 9 mars avec le ministre de l’Environnement, de la Lutte contre les changements climatiques, de la Faune et des Parcs, Benoit Charette.

« Fausse promesse de coconstruction de l’éventuelle stratégie pour le caribou, manque flagrant de concertation et de cohérence entre les ministères, répétition de la violation des processus de consultation et d’accommodement des Premières Nations, fondements scientifiques bafoués... Tout sonne faux dans l’éventuelle stratégie du Québec », souligne Martin Dufour, chef de la Première Nation des Innus Essipit.

Gilbert Dominique, chef de la Nation des Pekuakamiulnuatsh, abonde dans le même sens : « Les décisions semblent déjà prises et elles ne sont pas orientées vers un objectif réel de conservation d’Atiku, sans parler qu’elles ne prennent nullement en compte les enjeux, droits et intérêts innus. C’est ni plus ni moins une stratégie d’extinction qui se prépare ».

Ces rencontres ont été très décevantes pour les Premières Nations qui ont pu constater, une fois de plus, les contradictions entre les décisions politiques et administratives du Québec. Le scénario qui se dessine derrière la stratégie est totalement inacceptable. Qui plus est, le Québec continue d’esquiver délibérément son obligation constitutionnelle de consulter et d’accommoder les Premières Nations.

Parmi les autres contradictions, alors que le Québec a promis le dépôt d’une stratégie finale d’ici la fin juin 2023, les représentants des Premières Nations ont été étonnés d’apprendre, lors de la rencontre du 26 avril, qu’en plus de ne pas être élaborée en consultation avec les peuples autochtones, la stratégie se limitera à n’être encore qu’un projet en juin prochain.

« Ce qui nous a été présenté est nettement insuffisant. Rien de ce que nous avons proposé n’a été intégré ou considéré. Par ailleurs, il apparaît évident que les recommandations formulées par la Commission indépendante sur les caribous forestiers et montagnards n’ont pas été prises au sérieux », signale le chef Dufour.

« En faisant miroiter une ouverture artificielle, le gouvernement veut visiblement se donner bonne conscience en prétendant faire des échanges préalables qui ne sont nullement considérés au bout du compte. Du côté du Québec, nous avons même été explicitement informés qu’il était trop tard pour façonner les territoires visés, sauf pour quelques modifications mineures n’ayant aucun impact sur la possibilité forestière, sans consulter les Premières Nations. C’est aberrant! », ajoute le chef Dominique.

Les décisions du Québec ont eu depuis trop longtemps des répercussions irréversibles pour plusieurs des hardes de caribou et les prochaines qui se trament ne semblent guère favorables à la survie de l’espèce. Les deux Premières Nations considèrent que le Québec semble en voie d'échouer à nouveau au chapitre de sa responsabilité de protection adéquate de cette espèce en péril, et que le fédéral n'aura d'autre choix que d'imposer un décret de protection. Québec doit se montrer responsable et rectifier rapidement le tir dans ce dossier où il y urgence d’agir.

Comme les Premières Nations l’ont répété, si on veut réellement sauver Atiku, il faut prendre acte de la situation réelle, avec un regard objectif et scientifique. Des mesures fermes et des efforts collectifs s’imposent afin de revoir l’aménagement forestier pour qu’il soit réellement durable tout en protégeant la biodiversité; les problèmes vécus par Atiku en témoignent de façon éloquente.

Procédure en cours

Rappelons que le 24 février 2022, le Conseil de la Première Nation des Innus Essipit et Pekuakamiulnuatsh Takuhikan ont déposé, à la Cour supérieure du Québec, une demande introductive d’instance en jugement déclaratoire et en injonction contre le gouvernement du Québec pour manquement en matière de consultation entourant les enjeux de protection d’Atiku. Cette procédure suit son cours.

Depuis plus de deux décennies, les Innus sont engagés activement dans la lutte pour la protection d’Atiku qui se situe au cœur de leur identité et de leur mode de vie. Des démarches incessantes ont été effectuées auprès du gouvernement du Québec pour qu’un processus de consultation et des mesures de protection soient mis en place concernant le caribou et son habitat. Or, le gouvernement a manqué délibérément à son obligation constitutionnelle de consultation et d’accommodement et a fait fi des demandes répétées pour la mise en place d’un forum approprié et distinct, de Nation à Nation, afin de discuter des enjeux liés à Atiku.

Atiku au fondement du mode de vie des Innus

Les Innus et Atiku ont toujours évolué en harmonie sur Nitassinan. Atiku a toujours été, de génération en génération, au fondement du mode de vie des Innus. Il est au cœur de l’identité et de la culture innue (innu-aitun). Il occupait une place culturelle, alimentaire, sociale et spirituelle très importante. L’occupation du territoire reposait en grande partie sur la dépendance envers cette espèce. En raison de son déclin, la perte de ce lien étroit et privilégié avec Atiku entraîne une perte culturelle inestimable et met en péril les droits et les titres ancestraux des Premières Nations.